Travail requis et travail réel : quel discernement et quelles marges de manœuvre ?

Dans un contexte de fortes tensions sur les ressources hospitalières, la gestion collaborative de la charge de travail en soins devient un impératif éthique. Garantir la qualité du soin tout en préservant la santé et l’engagement des équipes n’est plus une option : c’est une condition de soutenabilité.

Les organisations font face à un défi très concret : répartir les ressources de manière équitable et ajustée aux besoins réels du terrain. Cela implique de tenir compte des rythmes, des contraintes, des imprévus et des urgences.

Comment s’assurer que chaque service dispose du bon nombre de soignants, d’étudiants et de renforts externes, au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes compétences… sans tirer les équipes jusqu’à la corde ? La réponse ne peut pas être uniquement comptable. Elle doit permettre d’optimiser sans déshumaniser, de coordonner sans rigidifier.

Le modèle du Value-Based Health Care (VBHC), qui vise à maximiser la valeur pour le patient en optimisant l’usage des ressources, fournit un cadre pertinent. Il invite à relier résultats et moyens mobilisés. Mais produire de la valeur suppose d’abord que les soignants puissent exercer dans des conditions réalistes, avec des outils concrets pour piloter une charge complexe, variable et collective.

Pourquoi l’écart “requis / réel” est un enjeu éthique

Quand l’organisation s’appuie sur le dépassement permanent, elle fabrique de la fatigue, du désengagement et un risque pour la qualité. Réduire cet écart n’est pas du confort : c’est de la sécurité.

VBHC : la valeur dépend aussi des conditions de travail

La valeur en santé ne se crée pas seulement avec des protocoles. Elle se construit avec des équipes disponibles, stables et capables d’anticiper.

gestion collaborative de la charge de travail en soins par une équipe soignante

Une digitalisation éthique et interdisciplinaire

Depuis 2009, le CHU Saint-Pierre a engagé une digitalisation progressive. La démarche n’est pas descendante : elle part d’un besoin formulé sur le terrain. Un soignant confronté aux difficultés de répartition a posé une question simple et décisive : comment objectiver la charge de travail d’une unité ?

De cette question est né un premier outil de mesure de la charge, enrichi au fil du temps : gestion des stages, gestion des renforts, gestion des formations. Chaque brique répond à un problème identifié par les utilisateurs, dans une logique de co-construction. Aujourd’hui, quatre outils complémentaires structurent une approche intégrée de la gestion des ressources.

Cette évolution repose sur un partenariat éthique entre le secteur hospitalier et le secteur marchand. La logique reste la même : le numérique ne doit pas imposer une organisation, mais soutenir les pratiques, valoriser l’intelligence collective et alléger la charge mentale.

Ici, la digitalisation est un moyen de recentrer les professionnels sur leur cœur de métier. En libérant du temps administratif, en fluidifiant la communication et en rendant la donnée utile accessible à tous, elle stabilise l’organisation et renforce la justice perçue.

Digitaliser pour soutenir le soin, pas pour contrôler

La finalité est l’aide à la décision et la cohérence collective, pas la surveillance.

Co-construction : condition de l’adhésion

Quand l’outil répond à un problème réel, il est adopté parce qu’il rend service, pas parce qu’il est “obligatoire”.

processus gestion collaborative de la charge de travail en soins grâce au numérique

Un pilotage proactif des ressources

Grâce à des plateformes intégrées, cadres et managers disposent d’une vision globale et en temps réel : occupation des unités, dotations, absences, renforts disponibles, prévisions de charge. Cette transparence dynamique permet d’ajuster plus vite, mieux répartir l’effort et anticiper les tensions avant qu’elles ne deviennent critiques.

L’outil de mesure de la charge de travail est central. Il ne se limite pas à additionner des actes ou ratios. Il s’appuie sur une moyenne issue d’indicateurs croisés définis avec l’établissement : nombre de patients, nombre de soignants, actes planifiés dans le dossier patient, mais aussi ressenti de l’équipe.

Chaque jour, un représentant de service évalue la charge perçue. En parallèle, chaque membre de l’équipe mesure librement l’ambiance du service. Ces données qualitatives sont intégrées à la mesure globale.

Cette base permet une projection à 48 heures. L’objectif : anticiper, ajuster les ressources, et éviter les surcharges invisibles. La finalité n’est pas le contrôle, mais le discernement partagé : objectiver sans réduire, prévoir sans figer.

Mesurer l’activité + le ressenti pour coller au réel

La charge ne se résume pas au nombre d’actes. Elle dépend aussi du contexte et de l’énergie collective.

Anticiper à 48h pour prévenir les ruptures

Un pilotage prévisible réduit les effets “urgence permanente” et stabilise l’engagement.

Une coordination globale des ressources

En parallèle, d’autres modules renforcent la dynamique :

  • Gestion des stages : planification équitable, intégration fluide des étudiants, soutien à la mission de formation.
  • Gestion des renforts : coordination des équipes mobiles et externes selon les besoins du terrain, visibilité des ressources disponibles.
  • Gestion des formations : planification adaptée, accessibilité, continuité pédagogique malgré les contraintes de service.

Ces outils interconnectés donnent une vision globale aux managers. Ils constituent un levier stratégique pour une gouvernance plus réactive, plus équitable et plus humaine. Ils permettent surtout de faire converger le travail réel du terrain et la logique institutionnelle.

La chaîne du soin devient lisible et pilotable

Stagiaires, renforts, formations : tout est visible au même endroit, avec les mêmes règles de décision.

Une gouvernance plus juste car mieux informée

Ce n’est pas la donnée qui décide. Elle permet aux humains de décider mieux.

Conclusion : faire plus de valeur avec moins d’épuisement

La digitalisation hospitalière pensée avec, par et pour les soignants devient un levier de régulation éthique. Elle rend visible la charge réelle, la disponibilité des compétences et les besoins à venir. Elle facilite aussi la mobilité des ressources et l’organisation des stages.

Dans ce contexte, la gestion collaborative de la charge de travail en soins n’est pas une option d’organisation. C’est une exigence éthique, un moteur d’engagement durable et un prérequis de qualité.

En replaçant le discernement professionnel au cœur des décisions, cette approche crée des environnements plus transparents, participatifs, prévisibles et soutenables. Elle s’inscrit pleinement dans la logique VBHC : produire davantage de valeur pour le patient, avec moins d’épuisement pour ceux qui soignent.

Repenser le management hospitalier autour d’une interdisciplinarité forte entre secteur infirmier et secteur numérique ouvre des marges de manœuvre concrètes. Prendre soin des soignants, c’est redonner du souffle aux collectifs et restaurer une organisation à la fois humaine et résiliente.

Vous souhaitez nous contacter ?

Remplissez ce formulaire et nous reviendrons vers vous.

Dans le même thème